Figure : À gauche, image de fluorescence d’un réseau carré de 100 atomes de rubidium individuels. La distance entre deux atomes voisins est de 12 micromètres. À droite, représentation schématique du système de spins en interaction correspondant. Crédits : Institut d’Optique/CNRS.
Observation d’un ordre magnétique à longue portée dans des aimants quantiques artificiels
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- Laboratoire Charles Fabry, Optique quantique
L’équipe « Optique quantique – atomes » du Laboratoire Charles Fabry (Université Paris Saclay, CNRS, et Institut d’Optique), animée par Antoine Browaeys, a réalisé expérimentalement de nouvelles phases magnétiques de la matière. Ces phases ont été obtenues dans un « simulateur quantique* » utilisant une centaine d’atomes contrôlés individuellement, et piégés dans un réseau carré à deux dimensions (figure ci-dessous, à gauche). Après excitation de ces atomes vers des états de Rydberg bien choisis, leur état interne peut être représenté par un « spin » (flèches noires sur la figure à droite ci-dessous). Ces spins interagissent très fortement entre eux. L’équipe a ainsi réalisé un système artificiel, décrit par un modèle emblématique en physique de la matière condensée, appelé « modèle XY », dont la particularité est que les interactions entre spins décroissent relativement lentement (en) avec la distance.

En partant d’un état où tous les spins sont alignés vers le bas, et à l’aide d’impulsions laser et micro-ondes très bien contrôlées, l’équipe a créé des états de basse énergie du système. Ces états ont été obtenus pour deux situations complémentaires : le cas ferromagnétique, où tous les spins tendent à s’aligner dans la même direction dans le plan horizontal, et le cas antiferromagnétique, où deux spins voisins cherchent à s’aligner dans des directions horizontales opposées. De manière remarquable, et en accord avec des prédictions théoriques récentes, seul le cas ferromagnétique permet d’observer un « ordre magnétique à longue portée » : le système devient, de manière robuste, un « aimant » - ce qui est impossible à deux dimensions dans les matériaux conventionnels.
Outre leur intérêt fondamental, ces résultats, obtenus en collaboration avec notamment des collègues théoriciens des Universités d’Harvard et de Berkeley (USA) et d’Innsbruck (Autriche), ouvrent également la voie à un contrôle de plus en plus fin de systèmes quantique à N corps. Il pourrait y avoir à terme des applications pour la métrologie ou le calcul quantique.
L’ensemble de ces résultats expérimentaux ainsi que l’analyse théorique sont publiés cette semaine dans la revue Nature : https://www.nature.com/articles/s41586-023-05859-2
Cheng Chen et al., « Continuous Symmetry Breaking in a Two-dimensional Rydberg Array », Nature (Accelerated Article Preview, 27 février 2023)
DOI: 10.1038/s41586-023-05859-2
* Un « simulateur quantique » est un ensemble artificiel de particules quantiques très bien contrôlées, gouverné par les mêmes équations que des systèmes d’intérêt en physique de la matière condensée.